L. Chadourne et V. Larbaud : une amitié sincère
C’est en avril 1912 que Valery Larbaud rencontre pour la première fois Louis Chadourne à l’Institut Français de Florence.
L’écrivain vichyssois a alors 31 ans. Il n’a jusqu’alors, fait dans cette ville que de très brefs séjours avec sa mère ou un ami. Cette fois, il s’installe en Italie pour 3 mois afin de consulter les archives d’Etat en vue de peaufiner ses recherches sur Walter Savage Landor, poète anglais du 19e siècle exilé à Florence. Il prend donc contact avec les Français résidant à Florence dans le cadre de l’Institut français, annexe de la faculté des lettres de Grenoble, qui accueille des étudiants boursiers de licence.
Firenze. Piazza Manin e Chiesa Ognissanti, 1912
cp envoyé par V. Larbaud à sa tante
Parallèlement, il souhaite retravailler le manuscrit d'une œuvre romanesque intitulée « Les Poèmes par un riche amateur » parue en 1908 et qui sera republiée très largement modifiée en 1913 sous le titre « A. O. Barnabooth : journal d’un milliardaire ».
France Italie, oct. 1913

A cette époque, le briviste a déjà publié des poèmes dans différentes revues telles que « Les poèmes », « Le voile de Pourpre », ou « le Mercure de France ».
D’emblée, le courant passe entre V. Larbaud, L. Chadourne et B. Crémieux. Le vichyssois se sent seul dans cette grande ville, aussi est-il heureux de rencontrer deux français avec qui il peut parler littérature. D'autant plus que L. Chadourne a lu et aimé « Fermina Marquez », roman que V. Larbaud a fait éditer l’année précédente.
Dès lors, naît entre V. Larbaud et L. Chadourne une amitié qui ne se démentira jamais. Les deux hommes ont sans aucun doute beaucoup de points communs, notamment une enfance marquée par une importante formation intellectuelle et artistique, une vive sensibilité mais également une profonde solitude liée à l’internat. Ils partagent également le goût du voyage.
A Florence, les deux hommes fréquentent le cercle des écrivains italiens de la très importante revue culturelle « La Voce » qu’anime Giovani Papini. Ils côtoient alors le poète Campana,
les romanciers A. Panzini, G. Deledda...
Le briviste écoute aussi les conseils de son aîné et prend bientôt l’habitude de lui soumettre ses vers.La voce, n°6, mars 1914
C’est d’ailleurs sur la suggestion de V. Larbaud qu’il envoie ses poèmes à Jacques Copeau qui dirige alors « La Nouvelle Revue Française ». Le poème «Ports » y sera édité dès le mois d’août, et la revue publiera également de nombreuses notes et critiques de l’écrivain.
L‘année suivante, en 1913, « A. O. Barnabooth : journal d’un milliardaire » de V. Larbaud sort en cahiers dans « La Nouvelle Revue Française ». L. Chadourne, alors à Grenoble pour préparer son agrégation, envoie le 18 février une lettre à V. Larbaud : « C’est à Hyères -sous les palmiers – que j’ai lu les premières journées de votre Barnabooth. Je les ai relues à mon retour ici ; et voici plusieurs jours que je désirais vous en écrire. Tout d’abord j’ai été pris par tout ce qui me rappelle Florence et les jours que nous y avons vécus. Je ne peux prendre vis-à-vis de ces pages une attitude critique. Il n’y a pas assez de recul… J’avais aimé Fermina mais comme tout ceci est plus riche, plus nourri. »
Ses études terminées, L. Chadourne s’installe de nouveau à Florence et reprend son activité à l’Institut français ainsi qu’à la revue « France-Italie ».
Il continue de publier des poèmes que V. Larbaud apprécie : « Ici, en arrivant, j’ai trouvé les deux numéros de France Italie que vous m’avez envoyés, et j’y ai lu et relu celui de la Villa d’Este. Je l’aime de plus en plus, et surtout les trois premières strophes. Pour moi, c’est jusqu’à présent votre chef d’œuvre. » lui écrit ce dernier le 17 octobre 1913.
En retour, L. Chadourne publie une longue note de lecture dans « France Italie » sur « A. O. Barnabooth » en janvier 1914 : « Le milliardaire que M. Larbaud promène à travers l’Europe, a rapporté de ses voyages bien autre chose que des “impressions”. Qu’il nous pardonne si nous ne considérons ici que ses notes d’Italie, une grosse part d’ailleurs de son journal. …. Il y a beaucoup plus que cela ; il y a ce que les touristes ne voient point, l’âme italienne, celle des villes, celle du peuple, pénétrée ou devinée, au point que des Italiens en sont restés étonnés (habitués qu’ils sont, hélas ! à entendre tant de sottises) … Pour ne pas dépasser les limites de cette courte note, je renvoie au livre même. Barnabooth, clairvoyant, a aimé l’Italie jusque à ses verrues et à ses taches ; peu ont été aussi doucement émus à voir, du navire qui les portait, flotter sur la Tyrrhénienne ce fiasco vide, annonciateur de l’Ausonie… »
France Italie, janvier 1914
V. Larbaud infirmier à Vichy, 1915
A la déclaration de guerre, V. Larbaud ne peut s’engager du fait de sa faible santé. Il doit se résigner à être infirmier amateur à l’Hôtel du Parc à Vichy, détenu par sa mère et qui a été réquisitionné pour devenir un hôpital temporaire, recevant des blessés dégagés vers l’arrière dont l’état nécessite des opérations ou des soins de longue durée. Il s’ennuie : Paris, ses amis réquisitionnés lui manquent et il se sent inutile.
L. Chadourne revient alors en France où il est mobilisé. Du front, il écrit le 29 avril à V. Larbaud : « Je vous envoie quatre poèmes, ceux dont je vous avais parlé. Gardez-les en souvenir de moi au cas où nous ne nous reverrions pas. »
En juin 1915, après avoir été ensevili plusieurs heures dans l'éboulement d'une tranchée, blessé et surtout traumatisé, L. Chadourne est hospitalisé dans un hôpital psychiatrique pour neurasthénie aigüe, insomnies et cauchemars. De longues semaines de convalescence vont suivre sans qu’il ne reprenne goût à la vie.
Ses amis tentent de le distraire. V. Larbaud l’invite en août dans le Bourbonnais. Le vichyssois songe à retourner à Florence avec lui et réfléchit à un moyen de se faire nommer attaché à l’Institut français. Jean Luchaire, directeur de l’Institut, est enthousiaste à cette idée. Il écrit à L. Chadourne le 28 août 1916 : « Remerciez M. Larbaud et dites-lui qu’il vienne dès qu’il voudra. Le travail ne manque pas ici : dépouillement de revues, rédaction de brochures, etc. ». Le projet sera finalement abandonné et V. Larbaud partira plus tard, en 1916, en Espagne.
L. Chadourne se divertit également à Paris en compagnie de Léon-Paul Fargue, Gaston Gallimard, André Gide, ou Léon Werth mais ses cauchemars le rattrapent fréquemment. V. Larbaud le presse de se remettre à écrire et ses encouragements, ainsi que ceux de Benjamin Crémieux, portent bientôt leurs fruits.
En août 1918, L. Chadourne fait paraître une critique sur les « Enfantines » de V. Larbaud dans la revue « La Caravane ». Il est quasiment le seul à écrire un long article sur l’œuvre de son ami, la guerre prenant toute la place dans les journaux : « Avec les Enfantines, Valery Larbaud nous guide dans le mystérieux jardin de l’enfance. Il nous guide avec ses souvenirs et aussi avec une intuition, une sensibilité presque féminine parfois… »
Les deux hommes continuent de s’écrire régulièrement pour prendre des nouvelles et pour se tenir au courant de leur actualité littéraire. Le 1er mai 1919, L. Chadourne a une grande nouvelle à annoncer à son ami : « Je vous ai envoyé un roman Le Maitre du navire que je viens de publier. J’espère qu’il vous sera parvenu et je n’ai pas besoin de vous dire qu’il me sera précieux d’avoir votre sentiment. »
Il vient alors d’être nommé directeur littéraire aux éditions de la Sirène et propose à Valery Larbaud une collaboration.
Entre octobre 1919 et janvier 1920, L. Chadourne cède à la tentation de parcourir le monde et s’embarque dans un long voyage maritime sous la direction de Jean Galmot, en direction des Caraïbes et de l’Amérique du Sud. Il en rapportera de nombreux poèmes qu’il soumettra encore une fois à V. Larbaud.
En 1920, L. Chadourne publie un roman autobiographique intitulé « L’Inquiète adolescence » qui est fort bien accueilli par la critique. Et pourtant, comme à V. Larbaud quelques années plus tôt, le prix Goncourt lui échappera.
Suivent « Terre de Chanaan » en 1921, et « Le pot au noir » en 1922, romans influencés par son long périple en bateau.
Les années suivantes voient la maladie revenir. En août 1921, L. Chadourne est hospitalisé à Ivry et bientôt il n’écrit même plus à ses amis. Il meurt le 22 mars 1925. Lors de la parution posthume de «Le Conquérant du dernier jour » en 1928, V. Larbaud, auteur de la préface, écrit ces lignes émouvantes :
Extr. de la préface de V. Larbaud pour "Le conquérant du dernier jour"
« Il préparait une édition de ces nouvelles, lorsque, en juillet 1921, la maladie dont il devait mourir trois ans plus tard l’arrêta. Ce fut, dès ce moment, une disparition totale. La lettre par laquelle il m’annonçait, avec entrain, avec gaîté, sa visite prochaine fut la dernière que je reçus de lui. Il ne vint pas. Il n’écrivit plus jamais à personne. Son livre, qu’on imprimait alors, et qu’il devait nous apporter lui-même, nous parvint, comme un livre posthume. Cette catastrophe fut en réalité la dernière phase d’une maladie nerveuse dont il souffrait depuis le choc reçu dans la tranchée. Il ne souffrait pas. Son aspect n’était pas changé. Il lisait. Il lui arrivait de parler de ses projets, de se montrer sensible au succès de ses livres. Mais le ressort principal, en lui, était irréparablement brisé. Il ne pouvait plus relier l’instant présent à celui qui venait de s’écouler… »
Fidèle en amitié, Valery Larbaud témoignera, à nouveau des années plus tard, de son admiration pour l’œuvre de Louis Chadourne en 1932, dans un fragment de « Sous l’invocation de Saint-Jérôme ». De la saisissante émotion d’un tel texte émane toute l’exquise sensibilité de son auteur : « Rome et le Latium dans la Littérature française serait une anthologie incomplète si on n’y trouvait pas la Villa d’Este, de Louis Chadourne. C’est un poème qui supporte la comparaison avec les meilleurs d’Henri de Régnier, et je n’en connais pas d’autre qui évoque avec plus de force le paysage qu’il décrit. Du reste, poème et paysage sont, dans ce cas, indissolublement liés : la dernière fois que je suis allé à la Villa d’Este, à peine arrivé à la première terrasse, ces vers se sont présentés spontanément à ma mémoire, et j’ai été comme contraint de me les réciter à haute voix… »
Article publié dans le cadre de l'exposition : "Louis Chadourne & Valery Larbaud écrivains voyageurs - Médiathèque Valery Larbaud, Vichy du 19 août au 29 novembre 2025"
Pour plus d'informations sur Louis Chadourne :
Maisons d'écrivain et Patrimoines Littéraires Nouvelle-Aquitaine
Chadourne, Louis. L'inquiète adolescence - Ed. des Cendres, 1995 - Notes bibliographiques
Chadourne, Louis. Le conquérant du dernier jour - Arbre vengeur, 2008
Chadourne, Louis. West Indies : journal de bord, octobre 1919-janvier 1920 - Ed. des Cendres, 2022
Une amitié : Valery Larbaud - Louis Chadourne. -In : Cahiers des Amis de Valery Larbaud, juin 1979
Mousli, Béatrice. Valery Larbaud - Flammarion, 1998
Louis Chadourne - Valery Larbaud : correspondance, 1912-1933