Cet été, nos oreilles se la coulent douce !
Sieste Musicale #8 : Last day, a DJ saved my nap ! (une sieste électro)
A priori, dans l’imaginaire populaire, on associe plutôt les musiques électroniques à la fête, à la danse et aux boîtes de nuit où, il faut bien le dire, l’on se rend rarement pour faire la sieste.
Alors, il est vrai qu’une bonne part des musiques électroniques s’y consacre, notamment la techno et la house, nées aux Etats-Unis, héritières de la musique funk et du disco. Techno et House Music qui se caractérisent par l’utilisation des boîtes à rythmes et donc une abondance de percussions.
Mais de l’autre côté de l’Atlantique, en Europe, dès le milieu du 20ème siècle, scientifiques, acousticiens et musiciens s’emploient à développer les synthétiseurs. Ces machines/instruments vont tout de suite intégrer les groupes de rock psychédélique ou planant et vont plus tard donner naissance à un autre style de musique électronique « l’Ambient Music » dont les pionniers sont l’anglais Brian Eno mais aussi le français Jean-Michel Jarre. Et là, les pieds cessent de marteler le dancefloor pour laisser l’esprit planer dans le cosmos.
Au même moment, sur la petite île de Jamaïque, des bricoleurs de sons, autodidactes de génie, vont créer sans le vouloir la musique dub, musique instrumentale avec des basses pesantes et de forts effets d’écho et de réverbération, qui aura une influence majeure sur l’histoire des musiques électroniques.
Voilà très synthétiquement les principales sources esthétiques des musiques électroniques « planantes », mais leur développement et leur succès ont une explication plus triviale. Danser pendant des heures la tête enfoncée dans les caissons de basse, ça use les souliers. Pour redescendre en douceur ou pour tenir sur la durée, il faut des moments de pause et de calme. Les clubs électro et les organisateurs de rave-party vont donc installer dans leurs fêtes un coin « chill-out » (détente).
Et c’est dans le « chill-out » de la médiathèque que je vous propose de m’accompagner dans la découverte des musiques électroniques propices au calme et à la rêverie. Une sélection forcément subjective (faite de mon histoire intime avec ces musiques) et non-exhaustive mais qui, je l’espère, vous détendra et vous donnera l’envie de poursuivre l’écoute en piochant dans nos bacs de disques.
Vous pouvez retrouver ci-dessous, à la fois sur Youtube et sur Spotify, la playlist de cette 8ème sieste musicale, ainsi que plus bas le descriptif des morceaux choisis.
1. Décollage cosmique avec l’immense artiste afro-américain Gil Scott-Heron, musicien, poète, soulman contestataire, précurseur du hip-hop, remixé par le jeune DJ anglais Jamie XX. Plongé dans la dépression, les addictions, les dettes, passé par la prison, Gil Scott-Heron n’a pas enregistré grand chose depuis les années 80 mais le producteur du label XL Recordings, Richard Russell, parvient à le sortir de sa retraite et lui fait créer l’album « I’m New Here » en 2010, un joyau sombre et incandescent. Puis l’année suivante, Russell propose à un des plus brillants et jeunes DJ de son label de le remixer. Ainsi, Jamie XX sort l’album « We’re New Here » en février 2011, validé par Gil Scott-Heron qui s’éteint quelques mois plus tard. On écoute le morceau « Home » et on part sans savoir si l’on va, si l’on doit rentrer.
2. Un peu plus de légèreté et de délicatesse avec « Two Thousand and Seventeen » et son sublime sample de harpe indienne, extrait de l’album « New Energy » créé en 2017 par le DJ et compositeur anglais Four Tet. 14 albums sortis de 1998 à aujourd’hui et pionnier d’une musique électronique que les critiques qualifient de « Folktronica », c’est-à-dire qu’il utilise des samples d’instruments acoustiques (comme cette harpe indienne) et qu’il les retravaille et les combine avec des sons générés par ordinateur. Méconnu du très grand public, il a connu l’année dernière un succès délirant pour sa collaboration scénique avec deux jeunes stars de la musique electro : Skrillex et Fred Again.
3. Spleen en apesanteur avec ce morceau d’Aphex Twin (encore un anglais) sorti sur l’album « Selected Ambient Works volume 2 » en 1994 et sans autre nom que son numéro de piste, le 3. Plus de rythmique, seulement des nappes de synthétiseurs, un travail minutieux sur les sonorités et les textures, et une boucle d’accords qui travaillent l’auditeur au corps. Cette musique devrait m’apaiser et pourtant elle me bouleverse. Aphex Twin dit que l’album lui a été inspiré par des rêves lucides, on veut bien le croire, en tout cas cet album comme le reste de ses créations ont inspiré de nombreux autres artistes de la scène électro mais aussi pop-rock.
4. On frôle les frontières de la musique électro (et de l’espace-temps) avec le pianiste et compositeur allemand Nils Frahm. En effet, sa musique est qualifié par certains de « néo-classique » et combine la musique classique, les ritournelles de la musique pop et le travail des sonorités par ordinateur. Un style très en vogue dans les bandes originales de film et dont le public s’élargit de plus en plus. Pour coller au thème de la sieste, j’ai choisi son morceau « A Place » extrait de son album « All Melody » sorti en 2018 dans lequel on entend davantage la dimension électronique de ses compositions et ce dès l’intro avec un fort effet de réverbération et de spatialisation de la basse.
5. L’incontournable classique de cette sélection avec le morceau « An ending (Ascent) » de Brian Eno sorti sur l’album « Apollo : Atmospheres and Soundtrack » en 1983. L’anglais est considéré comme le pionnier du genre « ambient » qu’il a défini ainsi : « la musique ambient doit être capable d'accommoder tous les niveaux d'intérêt sans forcer l'auditeur à écouter ; elle doit être discrète et intéressante ». Se considérant comme un « non-musicien », il a pourtant collaboré avec un nombre impressionnant d’artistes et de groupes des années 70 jusqu’à aujourd’hui. Et vous trouverez d’ailleurs à la médiathèque son dernier album « Secret Life » créé en 2023 avec le jeune Fred Again (encore lui).
6. Retour au néo-classique avec le morceau « Spirit of a far history » sorti en 2021 sur l’album « Eclat » de Labelle, compositeur réunionnais de maloya électronique qui s’est ici associé à un quatuor à cordes. L’album est sorti sur le label français InFiné, référence pour les musiques électroniques planantes, l’ambient et l’I.D.M. (Intelligent Dance Music, terminologie officielle mais néanmoins détestable puisqu’elle suppose que les autres styles d’électro ne seraient pas intelligents).
7. Pour cette sieste, j'aurais pu me contenter de vous faire écouter l'album « Promises » du DJ anglais Floating Points, du saxophoniste de légende Pharoah Sanders et du London Symphony Orchestra sorti en 2021. Pièce unique de 46 minutes découpé en 9 mouvements et dernière apparition de Pharoah Sanders avant sa mort en 2022. Conciliant ambient progressif, jazz et musique néo-classique, on navigue en plein rêve avec ces cinq notes de clavier répétitifs et majestueux qui mèneront la danse tout au long de ce périple spirituel et onirique avant que viennent se greffer le saxophone de Pharoah Sanders progressivement et fragilement, comme vous allez l’entendre dans le « Movement 1 ».
8. Après les profondeurs mélancoliques de l’électro/néoclassique, un peu de légèreté avec le groove aérien du morceau « Noctuary » de Bonobo (encore un DJ anglais) sorti en 2003 sur l’album « Dial « M » for Monkey ».La musique de Bonobo est composé d’une superposition d’échantillons sonores (de samples), déclenchés via une machine appelée MPC. Ce style de musique dont il est un des pionniers est nommé « downtempo » ou « chill » et se place en successeur de « l’easy-listening » des années 50-60.
9. On pousse à fond le concept de la composition par échantillonnage sonore avec le musicien, DJ et ethnomusicologue anglais Cosmo Sheldrake. Son morceau « Nightjar », sorti en 2020, est exclusivement composé de chants d’oiseaux et de bruits de la nature.
10. On reste dans la méditation électro-bucolique mais cette fois-ci, on part en Chine avec le DJ et compositeur Howie Lee et son morceau « Birdy Island » issu de l’album du même nom sorti en 2021
11. Summum de cette technique de l’échantillonnage/sampling avec l’album « Since I left you » du groupe australien The Avalanches. Un album solaire, sorti en 2001, composé de près de 3500 samples de vinyles dont on entend le craquement chaleureux, et qui a marqué mes étés de jeunesse. Douceur et nostalgie avec le titre « Tonight » où surnage la voix éthérée de la célèbre chanteuse Nancy Wilson.
12. Passage obligatoire par le dub (présenté en introduction) dans ce panorama des musiques électroniques planantes. Mais on ne part pas en Jamaïque, on reste en France avec le DJ et compositeur Blundetto (ex-programmateur musical de Radio Nova) et son titre bien nommé « Chamber Dub » extrait de son album « Slow Dance » sorti en 2018.
13. Toujours en France, avec le groupe culte et grand artisan de la renommée internationale de la « French Touch » le duo Air. Ce morceau-mantra « Le soleil est près de moi » est une de leurs premières compositions sorti en 1997.
14. Le morceau insolite de cette sélection avec « Plantasia » de Mort Garson sorti en 1976 sur l’album « Mother Earth’s Plantasia ». Obscur compositeur canadien et parmi les premiers maîtres du synthétiseur Moog, il compose cet album pour qu’il soit écouté par les plantes. Uniquement vendu dans une boutique de plantes de Los Angeles, il est redécouvert et très largement apprécié à partir des années 2000 grâce à sa diffusion sur Internet.
15. On termine notre sieste et on ouvre les yeux avec le morceau « The Splendour » du DJ et compositeur allemand Pantha du Prince, sorti en 2010 sur l’album « Black Noise ».On sent l’inspiration de la musique ambient sur cet album enregistré dans un chalet au milieu des Alpes Suisses et pour lequel Pantha du Prince utilise des sons captés en pleine nature. Pour autant, on est bien sur de la musique techno (minimale) ce que nous rappelle la rythmique répétitive et le tempo soutenu. Un début de déhanché nous guette, c’est l’heure de se remettre en route.